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Les dessous de l'affaire "bermuda" : SAGEM(SAFRAN-AIRCELLE-SNECMA)
Les dessous de l'affaire "bermuda" : SAGEM(SAFRAN-AIRCELLE-SNECMA)
24 avril 2014

L'entreprise peut-elle devenir un vecteur du développement durable ?

Le Monde économique

Michel Villette est professeur de sociologie économique à l'Ensia.

Article paru dans l'édition 01.04.03

Au cours des six derniers mois, un nombre croissant d'entreprises du CAC40 se sont crues obligées de désigner un "directeur du développement durable". Les prises de position du président de la République et du gouvernement en faveur de cette doctrine n'ont fait que renforcer ce qui est en train de devenir un véritable phénomène de mode, comme on en connaît régulièrement dans le management.

M'entretenant avec plusieurs de ces responsables nouvellement nommés, j'ai constaté que l'un passait son temps à répondre aux demandes de renseignement des agences de notation, qu'un deuxième s'occupait surtout de la prévention des risques de contentieux et un troisième d'obtenir des aides publiques pour le traitement d'effluents pollués. En quoi ces activités, par ailleurs tout à fait respectables, constituent-elles un engagement en faveur du développement durable? Ne faut-il pas plutôt les interpréter comme de simples réactions opportunistes à des préoccupations conjoncturelles?

Si la notion de développement durable a un sens, il s'agit d'augmenter l'ombre portée du futur sur le présent, de limiter l'excès d'opportunisme propre au monde des affaires, de tenir des engagements dans la durée (vis-à-vis de l'environnement, des clients, des employés, des actionnaires...) et ceci, même lorsque les circonstances sont défavorables et que les conséquences financières de ces engagements risquent d'être négatives. Deux questions doivent alors être posées à l'entreprise: quels engagements prenez-vous? Quelle est la force de chacun de ces engagements, qu'est-ce qui nous garantit que vous les tiendrez coûte que coûte et que nous pouvons avoir confiance?

Pour l'instant, je pense qu'aucune entreprise du CAC40 n'apporte une réponse convaincante à ces questions. Sauf lorsqu'il y a obligation légale, la force des engagements n'est jamais explicite. L'un des directeurs du développement durable que j'ai rencontré m'a d'ailleurs déclaré avec candeur: "En tout état de cause, la performance économique doit rester pour nous la priorité numéro un!" Partant d'un tel postulat, on devine ce que deviendra le développement durable, dans la durée.

On pourrait multiplier les exemples d'entreprises, de toutes tailles et de tous pays, qui trahissent les engagements moraux pris par leurs dirigeants lorsque les circonstances deviennent défavorables. Ce n'est pas une question d'éthique personnelle du dirigeant puisque, lorsqu'il s'entête dans le respect des principes sur lesquels il s'est personnellement engagé et dont les implications financières sont négatives, il est le plus souvent remplacé, à moins que l'entreprise ne tombe dans d'autres mains. Non, c'est bien en tant que personnes morales que les entreprises contemporaines sont atteintes d'une faiblesse chronique de la volonté. Elles sont essentiellement versatiles. Elles ont des préférences changeantes d'une période à l'autre. Elles ont tendance à toujours préférer le présent au futur, et le futur immédiat au futur lointain.

Comment s'étonner de cette versatilité? Comment une assemblée démocratique de spéculateurs irresponsables, propriétaires pour quelques semaines ou quelques jours seulement, pourrait-elle choisir de préférer le long terme au court terme? Même si les grands fonds de pension américains sont très soucieux de développement durable, ils vendent leur paquet d'actions instantanément s'ils disposent à temps d'une information exclusive "à implication négative". Et que valent les promesses d'une société anonyme dont les propriétaires changeants ne s'engagent sur rien?

Pour rétablir la confiance, il nous faut un remède fort à la faiblesse de volonté de nos grandes sociétés anonymes et à responsabilité limitée, incapables de résister au chant des sirènes.

Le sage et rusé Ulysse est tout indiqué pour nous fournir la solution. Sachant qu'il n'était qu'un homme, il s'est fait attacher au mât du navire par ses compagnons et il leur a bouché les oreilles. Ce dispositif contraignant et irrévocable lui garantissait qu'il ne céderait pas lorsque la tentation deviendrait trop forte. Si des entreprises veulent devenir des vecteurs du développement durable, elles doivent faire comme Ulysse: se lier de manière irrévocable (c'est-à-dire par contrat, de manière juridiquement et financièrement garantie) de façon à s'interdire les comportements opportunistes qu'elles pourraient avoir dans le futur.

Au fond, il s'agit pour le gouvernement des grandes organisations privées de s'aligner sur la pratique traditionnelle des Etats démocratiques, tous pourvus d'une Constitution et d'un Conseil constitutionnel afin de limiter les emballements circonstanciels et opportunistes de leurs assemblées démocratiques et de leurs dirigeants. On peut changer une loi, mais il faut une majorité des deux tiers pour toucher la Constitution. L'essentiel échappe aux contingences, quoi qu'il en coûte.

Je n'ignore pas ce que cette proposition a de saugrenu. Par définition, l'entreprise libérale répugne à se lier les mains, elle cherche la flexibilité, la réactivité, la capacité à s'adapter aux circonstances imprévues. Plus l'environnement est instable et plus elle cherche la malléabilité de son organisation. Il y a donc fort à parier que la plupart des dirigeants d'entreprise jugeront imprudent de se lier les mains à la manière d'Ulysse.

Soit. Mais alors, que nos dirigeants trouvent le moyen de faire fonctionner une économie sans confiance! Car qui peut croire à leurs chartes éthiques et à leurs engagements moraux, lorsqu'ils ont déjà signé tant de contrats en bonne et due forme, contacté tant d'engagements auprès de créanciers de premier, deuxième, troisième rangs. Que restera-t-il, la crise venue, pour honorer les promesses verbales et les engagements moraux?

Ainsi, si un Ulysse actionnaire accepte de s'attacher au mât, nous autres simples compagnons pouvons accepter de mettre de la cire dans nos oreilles et de pousser les avirons. Mais s'il refuse? Ne faut-il pas que chaque compagnon s'entoure d'un avocat, fasse signer des contrats, se barde d'assurances en tout genre, paye sa cotisation à un syndicat inflexible et revendique lui aussi son petit "golden parachute"? Et qui saura faire fonctionner –durablement et éthiquement– des entreprises composées d'une telle bande de mercenaires?

Peut-on attacher l'Ulysse-actionnaire au mât du navire? Oui, c'est faisable, comme le démontre, en France, la persistance du vénérable statut des sociétés en commandite (Michelin, Hermès, Bonduelle...), qui responsabilise les dirigeants et actionnaires principaux de façon illimitée; ou encore la formule de la Sagem, dont la majorité du capital est détenue par des salariés qui ne sauraient s'en défaire, quoi qu'il en coûte, à moins de quitter l'entreprise.

Une fois solidement lié au navire, l'Ulysse-actionnaire prendra-t-il des engagements sérieux vis-à-vis des tiers? Et lesquels? C'est une autre question. Comment attacher intelligemment l'Ulysse-actionnaire au mât du navire pour lui faire tenir de bonnes promesses? C'est la question-clé du développement durable, et, si l'on n'y répond pas, autant parler d'autre chose.

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