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Les dessous de l'affaire "bermuda" : SAGEM(SAFRAN-AIRCELLE-SNECMA)
Les dessous de l'affaire "bermuda" : SAGEM(SAFRAN-AIRCELLE-SNECMA)
24 avril 2014

La SAGEM vue par Le Point

© le point 07/10/04 - N°1673

Sagem

Louis XIV et Mazarin dans le high-tech

 

Un climat d'intrigue 

Pas une journée ne se passe au Ponant, le siège parisien de la Sagem où leurs bureaux sont voisins, sans que les deux hommes se voient. « Nous sommes comme un duo de musiciens parfaitement accordés », affirme Mario Colaiacovo. Une jolie métaphore pour ce passionné de musique qui a dirigé Radio Classique du temps où elle appartenait à la Sagem. Un ancien cadre préfère l'image de « Louis XIV et Mazarin », plus adaptée, selon lui, au climat d'intrigue de la Sagem et à la relation ambiguë entre les deux hommes. Grégoire Olivier, fils de cadre dirigeant chez Legrand et petit-fils de polytechnicien, major X-Mines comme son prédécesseur, a certes les quartiers de noblesse nécessaires pour régner sur une entreprise qui compte 4 000 ingénieurs sur 14500 salariés, avec aux postes clés des X-Mines et des Gadz'arts. Mais, comme Louis XIV quand il hérite du trône, il n'est pas jugé suffisamment « mature » au moment du décès de Pierre Faurre, patron de droit divin lié à la famille fondatrice, pour se passer d'un mentor. « Il arrivait d'une filiale d'Alcatel qui  comptait à peine un tiers des effectifs de Sagem »,rappelle Anne Lauvergeon, PDG d'Areva, qui, au titre de vice-présidente du conseil de surveillance, a participé à l'organisation de la succession. Elle n'a pas dû se forcer pour soutenir Olivier, qu'elle connaît depuis des lustres. Et pour accepter que Colaiacovo, « éminence grise » de l'entreprise, le chapeaute. Originaire des Abruzzes comme Mazarin, l'Italien a de nombreux points communs avec le célèbre cardinal. "L'intelligence aiguë et le sens politique, mais aussi la conception très florentine du pouvoir et de l'intrigue", commente un proche. Propulsé président par intérim, c'est lui qui a suggéré la modification des structures de l'entreprise en directoire et conseil de surveillance. Pour instaurer un système de contre-pouvoir, dont il s'est octroyé le contrôle... avant d'adouber Grégoire Olivier, repéré par Pierre Faurre quelques mois avant son décès. Le courant est  passé très vite. Mario Colaiacovo le répète à l'envi :   « A la mort de Pierre Faurre, j'ai perdu un frère, mais j'ai gagné un fils. » Ce que confirme l'intéressé, qui évoque une relation « à la fois  managériale, personnelle et filiale ».    

 

Véritable affection ou entente de façade, personne à la Sagem ne peut ou ne veut se prononcer. Mais ce qui est certain, au des résultats obtenus depuis quatre ans, c'est que le binôme fonctionne. « Il faut se souvenir de la situation critique dans laquelle se trouvait la Sagem en 2001 », insiste Anne Lauvergeon. Poids moyen sur les trois segments où elle se trouve -l'automobile, la défense et les télécommunications -, la société est fragilisée par l'éclatement de la bulle Internet. Elle ne semble plus tenir que grâce à la personnalité de Pierre Faurre : scientifique de génie, membre de l'Académie des sciences, le gendre du fondateur est aux yeux des salariés et des actionnaires le « dictateur charismatique » qui assure la cohésion de la Sagem. Lui disparu, cette entreprise attrape-tout, qui fabrique aussi bien des mobiles, des fax, des décodeurs, des téléviseurs que des radars, de l'appareillage électronique pour avions de combat ou encore des appareils de reconnaissance digitale, est menacée d'être vendue par appartements. Redresser un tel ovni industriel, ni  Grégoire Olivier l'ingénieur ni Mario Colaiacovo le financier n'y seraient parvenus isolément. C'est en jouant la carte de la complémentarité que le couple a sauvé l'entreprise. Aux commandes des finances et du lobbying : Mario Colaiacovo. Expert-comptable de formation, l'Italien est passé maître dans l'art des montages juridiques et financiers complexes. Très introduit dans le monde politique, comme l'attestent les photos encadrées qui le montrent au côté de Jean-Pierre Raffarin et de diverses autres personnalités, il possède un carnet d'adresses exceptionnel. Un atout de taille pour une entreprise qui réalise une part importante de son chiffre d'affaires à partir d'appels d'offres publics. Problème : habile négociateur, Mario Colaiacovo est moins doué quand il s'agit de gérer les affaires courantes. Et d'ailleurs, l'industrie n'est pas vraiment la tasse de thé de ce passionné d'art et de littérature qui préfère à la compagnie des hommes d'affaires celle des hommes de culture. Très compétent techniquement, Grégoire Olivier a, lui, une passion pour les produits et n'hésite pas à mettre les mains dans le cambouis quand cela est nécessaire. « A l'école, déjà, il avait surpris tout le monde en choisissant pour son stage industriel une filiale de Toyota à Nagoya, où il était le seul Français au milieu d'une armée de Japonais », témoigne Olivier Herz, son camarade de promo au corps des Mines, aujourd'hui directeur délégué Normandie-Paris de RTE.

 

 

 

Après un passage obligé par l'administration, au ministère de l'Industrie puis au cabinet de Michel Rocard, Grégoire Olivier fourbit ses armes chez Pechiney, où il dirige Aluminium de Grèce, avant d'être envoyé à Memphis chez American National Can (ANC). «Il aurait pu continuer à jouer les pachas dans un poste confortable ; au lieu de cela, il s'est retrouvédirecteur de la production dans une usine au fin fond des Etats-Unis, à enfourner des canettes dans des fours au côté de grands gaillards à l'accent incroyable », raconte son ami Patrick Kron, PDG d'Alstom. Sa ténacité est récompensée : il est nommé vice-président de la stratégie d'ANC à Chicago, où il se construit une solide réputation de tailleur de coûts. Qu'il peaufine chez Alcatel, au sein de la division batteries (Saft). « On lui a confié la direction du département qui perdait chroniquement de l'argent : en quelques mois, il a mis de l'ordre, fermé des usines, proposé une stratégie convaincante », se souvient Gérard Hauser, son boss de l'époque, aujourd'hui PDG de Nexans. En panne à son arrivée, la Sagem a besoin d'être restructurée. Mais en douceur. Jouant aux salariés la comédie du « gentil flic et du méchant flic », les deux hommes font passer un certain nombre de mesures amères, telle la vente de la division automobiles à l'américain Johnson Controls. Une décision prise par Mario Colaiacovo, mais exécutée par Grégoire Olivier. Tandis que l'un fait le sale boulot et solde sans complexe une partie de l'héritage Pierre Faurre,  reconvertissant l'usine de Sablé-sur-Sarthe, vendant le siège historique de l'avenue d'Iéna et réduisant de moitié les effectifs du site de production de Fougères, l'autre se pose en garant des intérêts des salariés et des actionnaires. « Grégoire est parfois un peu trop pressé, confie Colaiacovo, je suis là pour le canaliser. » Et pour le faire entrer dans le moule Sagem. Car l'entreprise façonnée par Pierre Faurre a une culture très forte d'ingénieurs chatouilleux qui entendent travailler en paix, refusent toute publicité et fonctionnent sur un mode très hiérarchisé, qualifié par certains de féodal. Pas question, par exemple, d'aller voir en direct un directeur, comme le faisait le nouveau patron au début. Dans la structure pyramidale de la Sagem, il faut passer par le directeur de filiale, qui transmet au directeur d'usine, lequel fait passer le message. Autre règle d'or : celle du silence, imposée par un Pierre Faurre paranoïaque et reprise à son compte par Mario Colaiacovo. « Parler de soi, ce n'est pas la culture Sagem. Ici, c'est la collectivité qui prévaut», déclare, péremptoire, le président du conseil de surveillance. Sous l'impulsion de Grégoire Olivier, formé à une autre école, les choses évoluent malgré tout à la Sagem.                      

 

L'entreprise s'ouvre peu à peu à la communication financière et aux médias. « Le style est plus franc, précis, détaillé, et le groupe publie enfin ses comptes  trimestriels », commente un analyste. En matière de publicité aussi, le groupe change de ton. « La technologie en action » fait place aux « objets de plaisir ». Un clin d'oeil provocateur comme les aime Grégoire Olivier, qui, dixit Anne Lauvergeon, a parfois des « sorties surprenantes, voire un peu destroy » ? L'histoire ne le dit pas. Mais ce qui est sûr, c'est que l'internationalisation de la Sagem porte la griffe d'Olivier. Car le grand voyageur, le VRP quadrilingue de la Sagem à l'étranger, c'est lui. Et non Mario Colaiacovo, qui lui reproche d'ailleurs d'être un peu trop souvent parti. Très centrée sur la France du temps de Pierre Faurre, la Sagem réalise aujourd'hui plus de 50 % de son chiffre d'affaires hors de l'Hexagone, se développe progressivement en Asie et en Amérique latine. Notamment dans le secteur des télécommunications, où elle a noué des partenariats avec des fabricants locaux, tels le chinois Ningbo Bird ou le brésilien Gradiente. « Grâce à ces accords, le groupe est présent sur des marchés émergents où il n'aurait pu se développer seul et possède des antennes un peu partout dans le monde, ce qui lui permet d'avoir  toujours une longueur d'avance sur ses concurrents en  matière de technologies et d'usages », commente un opérateur français. C'est ainsi le Japon qui a inspiré à la Sagem son modèle clam-shell (téléphone coquillage), aujourd'hui meilleur produit de la marque avec plus de 1 million d'unités livrées dans le monde.  Les salariés reconnaissent que le bilan économique de Grégoire Olivier est très positif, avec un chiffre  d'affaires qui est passé de 2,6 milliards d'euros en 2001 à 3,180 milliards d'euros en 2003, une croissance qui s'est accompagnée de plus de 2 000 embauches. Mais ils regrettent que le jeune patron ne se soit pas davantage affranchi de la tutelle de son éminence grise en matière de style de management. « Quand il est arrivé, il nous a semblé très accessible, moins langue de bois que son prédécesseur, commente un représentant du personnel, mais il s'est progressivement fondu dans la culture Sagem. » Celle d'une entreprise à l'asiatique, qui abuse du discours paternaliste et des pressions psychologiques pour tenir ses troupes.                      

 

L'an dernier, les cadres du groupe ont ainsi subi des incitations très fortes pour adhérer au programme d'actionnariat salarié. «Les gens ont été convoqués, la direction a fait preuve d'une insistance proche du harcèlement », dénonce Alain-Michel Carde, de la CGT. On est très loin du Grégoire Olivier patron de la Saft qui, après un conflit social d'une extrême dureté, était parvenu à obtenir la signature de l'ensemble des organisations syndicales. Et encore plus du jeune idéaliste décrit par un ami croisé à ses débuts, Jean-Pierre Morisset, « tiraillé entre ses convictions de catholique pratiquant et ses obligations de patron salarié ». A sa décharge, il faut reconnaître que la cohésion du groupe et les finances sont deux des champs d'activité contrôlés par Mario Colaiacovo. Redoutable stratège, l'Italien manie à merveille la carotte et le bâton. « Il n'hésite pas à rabrouer en public Grégoire Olivier quand ce dernier exprime des vues divergentes sur ces sujets sensibles », rapporte un observateur. Mais, parallèlement, il a faitvoter en avril dernier par le conseil de surveillance l'attribution de 10 000 options sur actions à Grégoire Olivier... Sans doute pour l'amener à partager ses vues quant à la gestion de Club Sagem, le holding détenu par la famille fondatrice et les salariés, qui contrôle la Sagem à 15 % .Auparavant baptisée Coficem, cette coquille financière présidée par Mario Colaiacovo a fait l'objet de plusieurs fusions, absorptions et rachats successifs au cours desquels les cadres de l'entreprise (et surtout les dirigeants) ont touché le jackpot. Cela suffira-t-il à tuer dans l'oeuf les velléités d'indépendance que certains prêtent au dauphin ? Pas sûr. Comme Louis XIV, le major X-Mines risque de vouloir un jour goûter au pouvoir absolu. A la Sagem, sans son encombrant double, ou ailleurs, à la tête d'un groupe qui lui laissera les coudées franches. « C'est un garçon très loyal, mais il n'est pas fait pour les seconds rôles », concède son ancien mentor Gérard Hauser. Mario Colaiacovo, lui, est persuadé que leur couple a encore de beaux jours devant lui. La preuve, Grégoire vient d'acheter une maison voisine de la sienne dans le Midi. Pour avoir en permanence l'avis de son « homme de l'ombre » ou au contraire pour mieux le surveiller ?


Proche du harcèlement »                        

Toujours une longueur d'avance                      

Règles d'or :  hiérarchie et silence

un duo ambigue                      

Avec son physique de premier de la classe et ses états de services irréprochables, Grégoire Olivier, le jeune président du directoire, incarne la nouvelle Sagem. Celle qui inonde les routes françaises de ses radars et qui s'est hissée en tête des ventes de portables en France, devant Nokia. Une Sagem en pleine forme, tournée vers l'extérieur, très différente du monstre vieillissant que lui a confié en 2001 un conseil de surveillance déstabilisé par la mort brutale du précédent patron, le légendaire Pierre Faurre. Ce redressement aussi spectaculaire qu'inattendu vaut à Grégoire Olivier - 44 ans ce mois-ci - les louanges régulières de la presse et de ses confrères. L'homme, des plus discrets, a un mental de fer, sans doute forgé durant des années de sport-études en judo, qui l'ont mené en championnat de France. « Il est très tenace, ne lâche jamais », confie un de ses proches. Officiellement. Car, depuis son arrivée à la tête du groupe d'électronique, Grégoire Olivier est obligé de faire des concessions. De composer avec l'autre Sagem.Celle de l'ombre, sur laquelle règne en maître absolu Mario Colaiacovo, président du conseil de surveillance et bras droit de l'ancien patron, Pierre Faurre. La Sagem des contrats publics de l'armement et de la sécurité, des laboratoires classés secret-défense dont le management est l'un des plus opaques de la place parisienne. Derrière ses lunettes à monture dorée, Colaiacovo, 63 ans, Italien au regard rusé, épie les moindres faits et gestes d'Olivier, son poulain.

Radars, armement, mobiles... Le groupe électronique est l'un des plus secrets et des plus rentables de l'industrie française. Grâce à la complémentarité de ses deux patrons, Grégoire Olivier et Mario Colaiacovo.Histoire d'un couple peu ordinaire               

Mélanie Delattre

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